Maison médiévale à Castelnau de Montmiral, tarn, Occitanie - ©Mireille Grumberg via Communes.com

Les Bastides, les villes neuves médievales

Pour la plupart d’entre nous, le terme « bastide » évoque une bâtisse imposante à 1 ou 2 étages qui servait autrefois de résidence aux grands propriétaires agricoles de Provence. Bon nombre de ces habitations à l’allure si rassurante ont été réaménagées et modernisées afin de devenir de confortables maisons de vacances ou des gîtes ruraux.

Historiquement, la bastide n’est cependant ni une habitation isolée ni une exploitation agricole mais bien une ville sortie de terre au cours du 13ème ou du 14ème siècle dans le sud-ouest de la France. Elles apportaient une solution aux différents problèmes rencontrés par la population d’une région victime de la guerre menée contre les cathares par l’Église catholique.
Ce n’est que bien plus tard, au 17ème siècle, que le mot occitan « bastida » désigne la demeure du maître d’un domaine agricole ou viticole.

Un peu d’histoire

Remontons le cours du temps pour nous arrêter au début du 13ème siècle. Le sud de la France subit de plein fouet le conflit entre les catholiques et les mouvements religieux qualifiés d’ « hérétiques » par le pape.
Alors que cette région a longtemps profité de son ouverture sur la Méditerranée et du passage des pèlerins en route pour Saint-Jacques de Compostelle, elle devient le théâtre de combats meurtriers. En effet, de nombreuses villes occitanes sont devenues les fiefs des cathares, un terme utilisé par l’Église pour désigner les « bons hommes » ou « bons chrétiens » qui ont adopté cette doctrine issue du christianisme mais basée sur le monothéisme dualiste.

Dans un premier temps, l’Église tolère le catharisme mais, face à l’ampleur du mouvement qui touche bientôt toutes les classes sociales dans le Midi de la France, elle fait volte face et le qualifie d’hérétique.
Cette accusation permet au pape Innocent III de lancer sa « Croisade des Albigeois », en 1209. De nombreux croisés dont Simon de Montfort prend cette expédition comme prétexte pour s’emparer des terres des partisans du catharisme. C’est ainsi qu’il cumule les titres de vicomte de Béziers, d’Albi et de Carcassonne, de comte de Toulouse et de duc de Narbonne.

Cette situation provoque la fureur des seigneurs du Languedoc qui ont été spoliés de leurs terres alors que tous ne sont pas cathares. Surnommés les « chevaliers faydits » (le faidiment est la sanction consistant à confisquer des terres), ils organisent la résistance allant jusqu’à demander la protection du roi d’Aragon. Il s’ensuit une longue période troublée par des conflits incessants entre les insurgés et les croisés. Une partie des chevaliers se soumettent au roi Louis VIII dit le Lion mais à la mort de celui-ci, le catharisme reprend vigueur.

Le pape confie la tenue de tribunaux de l’Inquisition aux Pères Dominicains afin de mettre un terme définitif à l’hérésie. Un climat de terreur pèse lourdement sur l’Occitanie et Raymond Trencavel, ancien seigneur de Carcassonne se met à la tête d’une importante troupe afin de contrer à la fois l’armée française et l’Inquisition.

Malgré quelques victoires importantes, l’armée du roi de France Louis IX sort vainqueur de ce long conflit qui se solde en 1255, après la chute de Quéribus et de Niort-de-Sault, dernières places fortes cathares. Les tribunaux de l’Inquisition restent cependant actifs dans la région jusqu’à la fin du 14ème siècle.
Ces événements profitent principalement au royaume de France qui ramène le Languedoc et la région Midi-Pyrénées dans son Domaine.

La fondation des premières bastides

C’est dans le contexte difficile de la Croisade des Albigeois que le comte Raymond VII de Toulouse décide de fonder des villes nouvelles, un moyen d’affirmer son autorité et sa volonté de sauver une région dévastée par les combats. Des villages entiers ont en effet été détruits et les habitants vivent dans le dénuement le plus extrême.
Le comte fonde une première ville nouvelle à Cordes dès 1222 soit sept ans avant la fin de la croisade et 27 ans avant la prise de possession du comté de Toulouse par Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, qui avait épousé Jeanne de Toulouse, la fille de Raymond VII.
Elle est suivie très rapidement par la construction de nouvelles bastides éparpillées principalement le long de la route menant de Toulouse à Albi.

Ces bastides permettent non seulement à la population de prendre un nouveau départ mais également au comte de Toulouse de protéger les limites de ses terres qui ont été largement amputées en faveur du roi de France suite à la signature du « Traité de Meaux-Paris » de 1229. C’est pour cette raison que les bastides possèdent un système défensif important et sont assimilées à des places fortes. Aux siècles suivants, elles offriront un refuge aux habitants durant la Guerre de Cents Ans et les Guerres de religion.

Parallèlement, la création des bastides a un objectif économique car tout est conçu pour favoriser le commerce et l’implantation d’exploitations agricoles. Elles offrent par conséquent un revenu important au comte de Toulouse et par la suite à la couronne.

Les grands bâtisseurs de bastides

Lorsque Alphonse de Poitiers succède à son beau-père le comte Raymond VII de Toulouse, en 1249, il poursuit la même politique et fait bâtir plus d’une cinquantaine de nouvelles bastides.
Il souhaite ainsi protéger ses terres contre les idées expansionnistes du comte de Foix mais surtout contre les Anglais qui occupent encore à cette époque un large territoire sur le continent.

L’empire Plantagenêt fondé par le roi Henri II d’Angleterre, descendant de Guillaume-le-Conquérant et époux d’Aliénor d’Aquitaine, avait été amputé d’une partie de ses terres sur le sol français par Philippe II Auguste et Louis IX. Selon les termes du « Traité de Paris » de 1259, les Anglais conservent cependant la suzeraineté sur le Limousin, le Périgord, la Guyenne, le Quercy, l’Agenais et la Saintonge tout en rendant hommage au roi de France.
Lorsque Alphonse de Poitiers et son épouse décèdent probablement de dysenterie alors qu’ils participent à la huitième croisade lancée par le roi de France en 1270, leurs terres sont intégrées dans le domaine royal. Le couple n’avait en effet pas d’héritier.

A la mort du comte et de la comtesse de Toulouse, Eustache de Beaumarchès qui occupait la fonction de sénéchal du Poitou depuis 1268 devient également chevalier et sénéchal de Toulouse.
C’est sur ordre du roi de France qu’il devient lui aussi un grand bâtisseur de bastides.

22 villes nouvelles sont construites entre 1272 et 1290 autour de Toulouse, dans la vallée de la Garonne et dans l’est de la Gascogne, région limitrophe des possessions anglaises.
Parallèlement, les Anglais présents construisent à leur tour des cités prenant les bastides comme modèles.
La région entière se couvre de villes nouvelles construites le long des voies de communication, routes et fleuves.

Après une courte période de calme, de 1229 à 1292, de nouveaux conflits reprennent entre l’Angleterre et la France. En effet, les Anglais profitent d’une dispute entre pêcheurs pour attaquer La Rochelle. En représailles, le roi de France s’empare du duché d’Aquitaine ce qui déclenche la « Guerre de Guyenne » (1294 – 1297), prémices de la « Guerre de Cent Ans » qui débute en 1337 marquant ainsi la fin de la grande période des bastides. La dernière est fondée en 1373 à Labastide-d’Anjou. Au total plus de trois cents bastides ont été construites en l’espace d’un siècle et demi.

Plan, conception et organisation des bastides

La création de villes nouvelles n’est pas un phénomène nouveau dans la France du 13ème siècle. En effet, dès le début du second millénaire, les villes se développent rapidement, profitant d’une période de paix et du développement du commerce. Cette expansion sans précédent favorise la fondation de nouvelles cités ce qui explique la prolifération de « Neuville », « Villefranche » … principalement au nord de la Loire.

Dans le sud de la France, on construit des « castelnaux » ou des « sauvetés » les uns au pied des châteaux et mottes castrales et les autres à proximité des édifices religieux. Les habitants de ces agglomérations bénéficient ainsi de la protection des seigneurs ou de l’Église en échange de leur fidélité en cas de conflit et de leur main d’œuvre

Les castelnaux et les sauvetés sont donc les « ancêtres » des bastides.
L’emplacement de ces dernières n’est pas choisi au hasard. Il répond à des nécessités telles que la défense du territoire, la fondation de ports de commerce le long des fleuves ou le peuplement de régions peu ou pas habitées.

La grande différence entre castelnaux et sauvetés d’une part et bastides d’autre part réside dans le fait que les premiers se développent dans des hameaux déjà existants tandis que les seconds sortent de terre « ex nihilo ».
De plus, les bastides sont toutes construites sur un même plan et profitent de la même organisation politique, économique et administrative.
Il est notamment remarquable que les lots proposés aux nouveaux habitants recrutés dans la campagne sont tous de la même taille ce qui sous-entend une volonté d’égalité sociale. Cette distribution égalitaire facilite également la levée des impôts puisque chaque propriété est redevable de la même somme.

Le tracé des rues est rectiligne et elles sont disposées autour d’une place souvent bordée d’arcades. Celle-ci n’est pas à l’origine accessible par de larges artères comme c’était souvent le cas dans les villes depuis l’Antiquité mais bien par de petites ruelles trop étroites pour laisser passer les charrettes des marchands. Elles ne servaient donc pas pour accueillir les marchés ou foires commerciales qui se tiennent souvent en dehors des murs. Les places n’ont pas non plus de fonction religieuse puisque aucune église n’est prévue au sein des bastides, du moins à l’origine. Il ne faut pas oublier que les premières bastides ont été construites à une époque où le catharisme est important dans la région. Il est donc possible que la construction soit influencée par ses principes ou réponde pour le moins à une volonté de tolérance voire de neutralité. Par la suite, un grand nombre de ces bastides ont été réaménagées afin d’agrandir les voies menant vers les places qui accueillent désormais des édifices religieux et/ou des halles. Jamais rien n’a cependant été construit en fonction de ces églises qui semblent parfois « intruses » dans le paysage.

Des puits et des fontaines ainsi que des bâtiments administratifs sont en revanche installés sur les places. D’autres puits sont également placés aux carrefours des rues et parfois dans les jardins ou les cours privés.
Par contre, les lavoirs qui servent également d’abreuvoirs sont implantés près des sources, à l’extérieur des murs.

De même, il faut remarquer l’absence de château ou d’abbaye dans les environs proches. Pour la première fois, les villageois ne sont plus protégés par un seigneur mais doivent veiller à leur propre défense. Les terres sur lesquelles sont construites les bastides sont cependant données au fondateur par des seigneurs ou des moines selon un contrat de paréage.

Les plans des bastides suivent donc toute le même modèle unique en son genre à cette époque. L’ensemble des rues est tracé et borné avec soin avant le début de la construction des maisons.

Les bastides : échec ou réussite ?

Il est difficile de faire un bilan concernant la fondation des bastides dans le sud-ouest de la France car les développements et le taux d’occupation varient énormément d’une cité à l’autre.

Lorsqu’une nouvelle bastide sort de terre, les habitants sont recrutés par des personnes qui tentent de les attirer en proposant différents avantages et privilèges comme la réduction du service militaire ou de dettes.
Ils reçoivent un terrain appelé « aryal » qu’ils ont l’obligation de bâtir généralement dans un délai de 6 ans, sous peine d’amende. Les fermiers obtiennent également des terres agricoles appelées « arpents » situées à l’extérieur de la cité.
Malgré cela, certaines villes restent quasiment vides car elles n’ont pas attiré assez de monde ou tout simplement parce qu’elles sont concurrencées par d’autres bastides proches. Certains projets sont carrément abandonnés et les constructions ne sont jamais terminées. De plus, lorsque les grandes routes sont tracées, les villages trop éloignés déclinent rapidement tandis que ceux situés le long de ces voies s’agrandissent. Les épidémies qui sévissent dans la région ou les récoltes insuffisantes pour nourrir tous les habitants influencent également l’histoire des cités.

De nombreuses bastides deviennent des cités florissantes grâce au commerce et à la production agricole. Le danger représenté par les Anglais durant la Guerre de Cent Ans oblige les habitants à renforcer les fortifications durant le 14ème siècle ce qui transforme la physionomie de la région.
Des modifications sont également visible intra-muros. Les rues menant aux places qui accueillent désormais les halles ou une église sont souvent élargies afin de répondre aux besoins et eigences des commerçants et des fidèles. Les anciennes maisons souvent détruites par le feu sont reconstruites en pierre.

Malgré toutes ces évolutions, les bastides ont réussi à conserver leur identité si particulière. Le modernisme et les nouvelles industries ont toujours été repoussés en dehors des fortifications.

Cette particularité qui fait le charme de ces cités médiévales de caractère a permis de développer le tourisme dans la région.

Sur le chemin des bastides

Partir à la découverte des bastides du Sud-ouest permet de mieux comprendre la vie quotidienne des habitants relogés dans des villes nouvelles sorties de terre en quelques années et conçues sur un modèle politique et économique innovant.

Quelques bastides à visiter durant votre séjour :

  • Cordes-sur-Ciel fondée en 1222 par le comte de Toulouse est considérée comme la première bastide. http://www.cordessurciel.fr
  • Castelnau-de-Montmiral fondée la même année que Cordes est reprise sur la liste des « Plus beaux villages de France ». http://www.castelnau-de-montmiral.com
  • La bastide Saint-Louis construite en 1247 aux pieds de la cité de Carcassonne. http://www.carcassonne.org
  • Villefranche-de-Rouergue classée ville d’art et d’histoire et grand site de Midi-Pyrénées devient le siège de la sénéchaussée du Rouergue en 1370. Elle est un témoin parfait du plan orthogonal des bastides occitanes. http://www.villefranchederouergue.fr
  • Villefranche d’Albigeois fondée en 1269 par Philippe de Montfort appartenant à la maison de Montfort-l’Amaury. http://www.montsalban-villefranchois.fr/villefranche-albigeois/
  • Monpazier fondée en 1284 par le roi Édouard 1er d’Angleterre pour défendre ses territoire contre les Français. http://www.monpazier.fr
  • Domme fondée en 1281 sous le règne de Philippe-de-Hardi. Cette bastide a été le théâtre de nombreux sièges durant la Guerre de Cent Ans et a été plusieurs fois prise par les Anglais avant de redevenir définitivement française en 1437. http://www.tourisme-domme.com
  • Lisle-sur-Tarn fondée en 1229 par le comte de Toulouse. Cette bastide est à l’origine appelée La Yla ce qui signifie l’île. http://www.ville-lisle-sur-tarn.fr
  • Monflanquin fondée en 1252 par Alphonse de Poitiers. Édouard Plantagenêt dit le « Prince Noir » y aurait séjourné durant la Guerre de Cent Ans. http://www.monflanquin.fr
  • Najac fondée en 1250 est dominée par les vestiges d’une forteresse royale édifiée par Alphonse de Poitiers sur le site d’un ancien castrum du 11ème siècle. http://www.tourisme-villefranche-najac.com
  • Labastide-d’Armagnac, une bastide landaise fondée en 1291par le comte Bernard VI D’Armagnac et de Fezensac. http://www.labastide-armagnac.fr
  • Labastide-d’Anjou fondée en 1373 par le duc Louis 1er d’Anjou, frère du roi Charles V est considérée comme la dernière bastide à voir le jour. http://www.labastidedanjou.fr

Cette liste est bien entendu loin d’être exhaustive puisque près de 300 bastides sont encore recensées à l’heure actuelle dans le sud de la France. Alors, si vous découvrez au détour d’un chemin, une cité endormie sous le chaud soleil occitan, n’hésitez pas à vous arrêtez quelques instants. Si les rues tracées au cordeau s’organisent autour d’une jolie place bordée de maisons à arcades … vous êtes dans une bastide !

Et pour mieux comprendre l’organisation de ces villes nouvelles, le Musée des Bastides vous donne rendez-vous à Monflanquin.

En pratique :
Le musée ouvre ses portes d’avril à octobre :

  • tous les jours sauf le dimanche et les jours fériés de 9hr30 à 12hr30 en avril, mai, juin, septembre et octobre
  • tous les jours de 9hr30 à 13hr en juillet août
  • sur demande pour les groupes uniquement hors saison
    Le musée se visite librement ou accompagné (pour les groupes uniquement)
    Des animations sont proposées durant les mois de juillet et d’août.

Musée des Bastides
Office de tourisme de Monflanquin
Place des Arcades
47150 Monflanquin
Tel : 05 53 36 40 19
Mail : contact@coeurdebastides.com
Site web : https://www.monflanquin-museedesbastides.com

Que manger dans la région ?

Durant votre périple dans le sud-ouest de la France, vous découvrirez non seulement un extraordinaire patrimoine architectural, des paysages à couper le souffle et une douceur de vivre inégalable mais également une gastronomie élevée au rang de l’art.

Parmi les spécialités incontournables de la région, épinglons :

  • le foie gras accompagné, par exemple, d’une salade du Sud-Ouest
  • le magret ou le confit de canard
  • le cassoulet
  • la saucisse de Toulouse
  • la tourtière aux pommes
  • la tourte aux foies de volaille
  • les pommes de terre sautées dans de la graisse de canard
  • le risotto aux truffes
  • l’armagnac …
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