Réverbère, CC0 Creative Commons

Le falotier ou allumeur de réverbères, un métier disparu

A l’heure où les conséquences néfastes de la pollution lumineuse sont pointées du doigt, remontons quelques siècles en arrière, avant la généralisation de l’éclairage électrique. En ce temps-là, des falotiers mieux connus sous le nom d’allumeurs de réverbères, sillonnaient les rues afin de les éclairer.

Un peu d’histoire

Contrairement aux idées reçues, les rues des villes étaient déjà éclairées bien avant l’apparition de l’éclairage public. Les hommes ont en effet cherché un moyen de produire une lumière artificielle depuis la nuit des temps.
Les hommes préhistoriques utilisaient des torches trempées dans de la résine et des pierres en forme de coupe ou des anfractuosités de rochers qu’ils remplissaient de végétaux imbibés de graisse. Il suffisait alors d’y mettre le feu pour profiter d’une lumière certes tremblotante mais qui permettait d’éclairer les grottes les plus profondes.

Les lampes à huile

Petit à petit, les techniques évoluent et des lampes à huile façonnées en terre cuite ou en métal apparaissent vers 15.000 avant notre ère.
Si les formes et les décorations des lampes à huile diffèrent selon l’époque et la région, elles vont traverser les siècles. Au 18ème siècle, plusieurs innovations techniques permettent de les perfectionner et elles restent les principales sources de lumière domestique jusqu’au milieu du 19ème siècle.
En effet, en 1853, un pharmacien et industriel polonais, Ignacy Lukasiewicz, met au point la lampe à pétrole qui va remplacer rapidement la lampe à huile.

Les chandelles et les bougies

A partir du 3ème millénaire avant JC, les hommes utilisent également des chandelles composées d’une mèche probablement en étoupe, et plus tard en jonc, entourée de produits combustibles, notamment du suif, graisse animale fondue.
Cette chandelle est l’ancêtre de notre bougie actuelle qui apparaît au 14ème siècle.
A la différence de la chandelle, la bougie est fabriquée en cire d’abeille et non en suif et est donc bien plus coûteuse. En raison de cette différence de prix, la bougie est utilisée à la cour et par les membres du clergé et de la noblesse tandis que les classes sociales moins favorisées continuent à s’éclairer au suif.

Le gaz naturel

Plus surprenant, le gaz naturel est utilisé comme moyen d’éclairage dès le 4ème siècle avant JC.
En effet, les Chinois ont découvert très tôt les propriétés du gaz naturel qui s’échappait des trous de forage réalisés pour extraire la saumure. Afin de prévenir les risques d’explosion, ils faisaient passer le gaz dans un réservoir en bois où il était mélangé à de l’air. Il était ensuite utilisé comme source d’éclairage ou conduit jusqu’aux brûleurs destinés à faire bouillir la saumure afin d’en extraire le sel.
Dans nos contrées, le gaz d’éclairage n’est utilisé qu’à partir du 19ème siècle.

L’éclairage public

Les peuples de l’Antiquité, Romains, Grecs, Égyptiens et Perses, avaient déjà imaginé et mis en place un procédé permettant de rendre les rues des villes plus sûres. Des grandes lampes à huile et des chandelles placées dans des candélabres à une ou plusieurs branches sont installées à l’extérieur des maisons et sur les étals des marchands. Cette hypothèse a été confirmée par la découverte de nombreux moyens d’éclairage « public » lors de la fouille des boutiques de Pompéi.
Des torches étaient également accrochées aux arbres et aux statues afin d’illuminer les jardins et patios.

Curieusement, l’usage d’éclairer les rues se perd presque complètement au Moyen-Âge. A cette époque seules les portes des villes et les tours sont éclairées. Les promeneurs doivent porter des lanternes ou des flambeaux pour éclairer leurs pas.
Les villes baignent donc dans l’obscurité ce qui favorise les vols et agressions. C’est pour cette raison que des édits sont régulièrement promulgués afin d’obliger les citoyens à accrocher des lanternes aux fenêtres des maisons.
Des porte-falots sont parfois embauchés afin d’éclairer le chemin à l’aide d’une lanterne (falot) remplie de suif et fixée au bout d’un bâton. Cette lumière était cependant bien faible et vacillante ce qui explique pourquoi le terme falot a été détourné pour qualifier quelque chose de terne ou une personne sans caractère.

Le premier éclairage des rues parisiennes

Londres est considérée comme la première ville européenne à rendre l’éclairage obligatoire entre octobre et février. Dès 1414, chaque citoyen doit en effet suspendre une lanterne à sa maison.

A la même époque, les rues de Paris ne sont que faiblement éclairées par quelques chandelles tremblotantes installées dans des demeures bourgeoises. Seuls la tour de Nesle, le cimetière des Innocents situé dans le quartier des Halles et la forteresse du Grand Châtelet sont éclairés chaque nuit sur ordre du roi Philippe V dit le Long en 1318.

Les rues sombres de paris mais également des villes de province deviennent le domaine des bandes de « mauvais-garçons » qui terrorisent et dévalisent les passants, commettent des viols et incendient des maisons.

L’insécurité grandit et atteint son paroxysme au 16ème siècle. Les membres des services de l’ordre ne s’aventurent plus dans les quartiers les plus dangereux, les chefs de bande font la loi. On estime que chaque nuit une quinzaine de personnes succombent sous les coups des brigands à Paris. Leurs corps sont simplement ramassés au petit matin par le guet qui a pourtant mission d’assurer la sécurité dans les rues.
Plusieurs ordonnances obligeant les propriétaires à éclairer leurs demeures de la tombée du jour à minuit restent sans effet.

Il faut attendre le milieu du 17ème siècle pour voir la situation s’améliorer. Des lanternes sont placées aux extrémités et au milieu de chaque rue de la capitale et, un peu plus tard, des autres villes françaises.
De plus, les passants qui devaient circuler après la tombée de la nuit pouvaient louer les services de « porte-flambeaux » et « porte-lanternes ». Ces lanterniers étaient payés au quart d’heure et le temps était mesuré à l’aide d’un sablier marqué aux armes de la ville.
Les promeneurs nocturnes pouvaient également faire appel aux « veilleurs de nuit » équipés de lanternes numérotées par la police. Ils étaient chargés d’accompagner les noctambules et de leur faire traverser les ruisseaux, ces caniveaux installés au milieu des rues afin d’évacuer les eaux, en installant des planches de bois.

Gabriel Nicolas de La Reynie

En 1667, la fonction de lieutenant de police de Paris nouvellement créée est confiée à Gabriel Nicolas de La Reynie dans le but de sécuriser et d’assainir les rues.
Pendant trente ans, il entreprend d’organiser la police en réunissant sous une même autorité les commissaires du Châtelet, les archers du guet, la compagnie du lieutenant criminel et la prévôté de l’île qui étaient autrefois quatre entités rivales.
Parmi les nombreuses mesures prises par La Reynie afin de transformer la ville de Paris, notons le pavage des rues, l’adduction d’eau potable et bien entendu l’éclairage public généralisé au moyen de 6.500 lanternes à chandelles réparties dans tous les recoins de la capitale.

Ces dispositifs sont financés par la « Taxe Boue et lanternes » imposée aux propriétaires. Les personnes malintentionnées qui détérioraient les lanternes écopaient d’une peine sévère et étaient envoyées aux galères.

Les premiers réverbères

A l’aube du 18ème siècle, les lanternes toujours équipées de chandelles prennent de la hauteur et sont suspendues aux façades à l’aide d’une poulie. Des personnes sont choisies parmi les citoyens afin d’allumer ces lanternes publiques selon un horaire fixé par les autorités.
Cependant, elles n’exécutent pas toujours leur tâche consciencieusement et c’est pour cette raison que vers le milieu du siècle on assiste à la naissance d’une nouvelle profession, le falotier appelé plus communément « allumeur de réverbères ».

En 1766, les premiers réverbères à huile de colza sont installés dans les rues de Paris et détrônent rapidement les lanternes à chandelles. La rue Dauphine, dans le 6ème arrondissement de Paris, est la première artère à bénéficier de cet éclairage.
C’est un ingénieur français, Dominique-François Bourgeois surnommé Bourgeois de Châtelblanc, qui est l’auteur de cette invention. Il obtient le monopole de la production et de l’installation de l’éclairage des rues de Paris.
Les réverbères sont munis d’un bec à huile et d’un jeu de réflecteurs chargés d’amplifier la lumière. Cette réverbération est à l’origine du nom de ce nouveau dispositif d’éclairage public.
En hiver, l’huile de colza est additionnée d’huile de cameline ou de chanvre plus résistantes au gel.
A l’origine, les réverbères ne sont pas sur pied. Ils sont suspendus à 5 mètres au-dessus du sol et sont espacés les uns des autres de 60 mètres.

Les allumeurs de réverbères qui sillonnent les rues de Paris connaissent des conditions de travail difficiles et un salaire de misère qui ne suffit pas à faire vivre leur famille. Ils sont soumis aux horaires imposés par l’administration et doivent s’acquitter de leurs tâches par tous les temps et sans jour de relâche. Ils doivent non seulement allumer et éteindre les réverbères mais également les nettoyer et les entretenir.
A l’époque des réverbères attachées par une corde et une poulie, les allumeurs doivent travailler par deux. L’un d’eux est chargé de maintenir la corde une fois la lanterne descendue tandis que son collègue l’allume, la nettoie ou l’éteint.
Lorsque le réverbère devient fixe, l’allumeur travaille seul. Les réverbères sont alors équipés d’une barre d’appui permettant d’appuyer une échelle afin de procéder au nettoyage du quinquet. Pour allumer et éteindre la lampe, il utilise une longue perche.

Les réverbères au gaz

En 1799, le chimiste Philippe Lebon parvient à fabriquer un gaz à partir de la distillation du bois qu’il nomme « gaz hydrogène ». Il met au point une « thermolampe » qui permet d’éclairer et de chauffer de manière économique. Il met son invention en application pour la première fois en 1801 dans l’ancien hôtel particulier du comte de Seignelay (80 rue de Lille, 7ème arrondissement de Paris). Philippe Lebon décède en 1804 mais ses travaux sont repris et développés par un ingénieur écossais, William Murdoch qui remplace le gaz de bois par du gaz de houille.

Des premiers tests de réverbères au gaz sont réalisés à Paris entre 1817 et 1820 mais le gouvernement est réticent et ce n’est qu’en 1829 que la première rue parisienne, la rue de la Paix située entre la place Vendôme et l’Opéra Garnier, est équipée de ce type d’éclairage, bien après Londres et Bruxelles.
Dès l’année suivante, 9.000 réverbères sont installés dans la capitale française. Ce nombre dépasse les 23.000 au milieu du 19ème siècle.
Les allumeurs de gaz remplacent les allumeurs de réverbères. Leur tâche est simplifiée, il suffit désormais d’ouvrir un conduit et d’enflammer le gaz qui s’échappe.

La fin d’une profession

Les tous premiers lampadaires utilisant l’électricité pour éclairer les rues parisiennes font leur apparition en 1878 à l’occasion de l’exposition universelle. Un électrotechnicien russe établi à cette époque à Paris met au point la « bougie Jablochkoff », une lampe à arc électrique utilisant le courant alternatif. Ces lampes sont installées dans les grandes artères commerçantes de Paris et de Londres. Les bougies Jablochkoff sont remplacées par les ampoules à incandescenceinventées par Joseph Swan et perfectionnées par Thomas Edison en 1879.

L’éclairage public à l’électricité évince l’éclairage au gaz et marque la fin de la profession d’allumeur de réverbères dans les années 1880.

Et aujourd’hui ?

Bien entendu, à l’heure actuelle, les réverbères au gaz ont complètement disparu du paysage urbain. Et pourtant un dernier représentant d’une époque révolue subsiste encore à Malakoff, en banlieue parisienne.
Affectueusement surnommé « Léon », ce dernier bec de gaz d’origine situé au Sentier du Tir est âprement défendu par les riverains qui refusent son électrification dans les années 1970. Une association a même été créée afin d’entretenir ce dispositif vieux de plus d’un siècle qui brûle jour et nuit afin de diminuer l’usure provoqué par les allumages et les extinctions à répétition.

Un peu plus loin, dans l’impasse Ponscarme, trois autres becs de gaz éclairent la ruelle. Contrairement à Léon, ceux-ci ne sont pas d’époque et n’ont rejoint Malakoff que depuis quelques années.
Un espoir de voir refleurir ces lanternes romantiques dans d’autres lieux ?

En attendant, nous pouvons relire le Petit Prince et découvrir la planète de l’Allumeur de réverbères, la plus petite des planètes imaginée par Saint-Exupéry.

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