L’affaire des poisons, de la marquise de Brinvilliers à la Voisin
On dit souvent que le poison est l’arme préférée des femmes. Depuis bien longtemps, elles utilisent des potions mortelles pour se débarrasser d’un mari encombrant, d’un amant un peu trop gênant, d’un frère faisant obstacle à un héritage.
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir l’affaire des poisons qui commence avec l’arrestation de la marquise de Brinvilliers et se termine avec l’exécution de la Voisin, empoisonneuse et faiseuse d’anges. Les faits se sont déroulés à Paris, sous le règne de Louis XIV
Un peu d’histoire
Nous sommes dans la seconde moitié du 17ème siècle, Louis XIVrègne sur la France depuis la mort de son père survenue en 1643. La cour vit encore au château de Saint-Germain-en-Laye. Elle ne déménage à Versailles qu’en 1682.
Plusieurs milliers de personnes gravitent autour de la famille royale. On y rencontre non seulement les princes de sang, les nobles et les grands officiers de la couronne mais également une armée de domestiques. On estime que dix mille courtisans vivent en permanence à la cour ce qui représente une dépense équivalant à près de 10% du budget de l’État.
Véritable ville dans la ville, la cour du roi est le théâtre de nombreux complots, manigances et intrigues. En apparence, les courtisans obéissent à une étiquette stricte et tout est orchestré par le roi lui-même. Louis XIV veut en effet être l’acteur principal d’une pièce qui se joue jour après jour dans un immense château devenu la vitrine de la puissance de la France et de son roi.
On assiste au lever du roi, au déjeuner du roi, à la promenade ou à la chasse du roi, aux divertissements offerts par le roi, au coucher du roi …. et surtout on essaie de rentrer dans les bonnes grâces de sa majesté ou du moins des membres de la famille royale, des conseillers du roi voire des domestiques les plus importants de ces grands personnages.
Les favorites du roi marquent la cour du Roi-Soleil, donnant le ton, lançant les modes et les coiffures qu’il faut absolument suivre.
Les femmes utilisent le maquillage souvent à outrance, se couvrent la peau de poudre et de fards blancs ou rouges qui cachent les imperfections et les dermatoses devenues monnaie courante à cette époque notamment en raison des excès de table et de vins. Contrairement aux idées reçues, le roi et sa famille se baignent chaque jour. L’eau du bain est parfumée et de nombreux « ingrédients » tels que le lait d’ânesse ou le son sont ajoutés à cette espèce de marinade. Ceci expliquerait la présence d’une seconde baignoire qui servait à se rincer. Des mauvaises langues chuchotent cependant que cette seconde baignoire absente dans la salle de bain de la reine permet en réalité au souverain de se laver en galante compagnie ….
Bien entendu, les courtisans n’ont pas tous accès à de telles commodités et certains d’entre eux redoutent l’eau que les médecins accusent de transmettre des maladies.
Si le manque d’hygiène à la cour du Roi-Soleil a largement été exagéré, la saleté des latrines publiques est un fait avéré. Avec seulement 29 fosses d’aisance mal entretenues pour plus de 10.000 personnes, on peut aisément concevoir que la puanteur régnait en maître dans certaines parties du château. Le roi, la reine, les princes et les princesses ont cependant leurs « chaises d’affaires ». Il est d’ailleurs d’usage de recevoir tout en étant dans cette position délicate. Si ça nous paraît aujourd’hui choquant, une telle pudeur n’est pas de mise au 17ème siècle. Il faut attendre le règne de Louis XV pour que les lieux d’aisance offrent plus d’intimité.
C’est donc dans ce monde à part, bien orchestré par l’étiquette, qu’évoluent les plus importantes personnes du royaume de France. On peut bien s’imaginer que les romances, les liaisons, les adultères sont nombreux.
Pour être présentées à la cour, les femmes doivent être mariées. Les jeunes filles acceptent donc bien souvent d’épouser des hommes plus âgés capables de les introduire dans l’entourage proche du roi. Il n’est donc pas étonnant qu’elles se tournent vers des gentilshommes plus jeunes et plus beaux pour assouvir leurs désirs. Il est parfois tentant de se débarrasser alors du mari ou d’un amant devenu trop exigeant. De plus, de nombreux bâtards bien gênants voient le jour. L’avortement bien qu’illégal est bien souvent pratiqué.
Le poison apporte également une solution à bien des problèmes.
Madame de Sévigné écrit à cette époque :
La duchesse de Bouillon alla demander à la Voisin un peu de poison pour faire mourir un vieux et ennuyeux mari qu’elle avoit, et une invention pour épouser un jeune homme qu’elle aimoit. Ce jeune homme étoit M.de Vendôme qui la menoit par la main et M. De Bouillon son mari, de l’autre ; et de rire. Quand une Mancine ne fait qu’une folie comme celle-là, c’est donné ; et ces sorcières vous rendent cela sérieusement et font horreur à toute l’Europe d’une bagatelle.
L’Affaire des poisons
La marquise de Brinvilliers
De nombreuses situations embarrassantes sont donc souvent réglées par cette arme efficace et redoutable qu’est le poison.
C’est ainsi que débute l’ « Affaire des poisons » qui bouleversera la cour de Louis XIV en impliquant un grand nombre de ses familiers, principalement des femmes.
Nous sommes en juillet 1672 lorsque le capitaine de cavalerie appartenant au régiment de Tracy, Jean-Baptiste Godin de Sainte-Croix décède. Sa mort n’est pas suspecte mais la police appelée sur les lieux découvre des documents pour le moins troublants puisqu’ils accusent sa maîtresse, la marquise de Brinvilliers, d’avoir empoisonné plusieurs personnes.
La marquise née Marie-Madeleine Dreux d’Aubray appartient à une famille aisée et instruite ce qui lui permet d’épouser en 1651 le marquis de Brinvilliers, mestre de camp et commandant du régiment d’infanterie d’Auvergne. Le couple s’installe dans un hôtel particulier à Paris.
Cultivée et jolie, elle est remarquée par Sainte-Croix, une connaissance de son époux et devient sa maîtresse.
Pendant plusieurs années les Brinvilliers vivent au-dessus de leurs moyens. La marquise dépense des sommes folles pour combler son amant et satisfaire ses propres besoins tandis que le marquis s’adonne à sa passion, le jeu et prend de nombreuses maîtresses. Ces goûts dispendieux les mènent tout droit à la ruine et le marquis qui veut se soustraire à ses créanciers prend la fuite.
Si son époux a toujours fermé les yeux sur les incartades de Marie-Madeleine, le père de celle-ci n’est pas aussi complaisant. Son gendre parti, il n’hésite pas à faire incarcérer Sainte-Croix, en 1663. C’est durant son emprisonnement à la Bastille que le jeune homme rencontre Nicolo Egidi dit « Exili »,un empoisonneur qui a déjà plusieurs meurtres à son actif.
Avant d’être libéré grâce au soutien de personnes influentes, Exili partage ses connaissances en matière de poisons avec Sainte-Croix. Ce dernier passionné par l’alchimie avait déjà été l’élève d’un chimiste et pharmacien suisse installé à Paris, Christophe Glaser.
Lorsque Sainte-Croix retrouve à son tour la liberté, il forme sa maîtresse aux secrets des poisons. La marquise songe très vite à utiliser cette science nouvellement acquise pour éliminer quelques personnes gênantes, à savoir son père qui s’oppose à sa liaison avec Sainte-Croix et ses frères afin de ne pas devoir partager son héritage si maigre soit-il.
Il se raconte même que la jeune femme se fait la main sur des malades qu’elle visite à l’hôpital. Elle leur administre ce qu’on appellera la « poudre de succession », un mélange d’arsenic et d’ingrédients parfois farfelus comme la bave de crapaud. Elle constate avec soulagement que les médecins ne soupçonnent aucun empoisonnement.
Il est temps de passer aux choses sérieuses et les morts se succèdent dans la famille de la marquise.
D’abord le père qui décède le 10 septembre 1666 et ensuite les deux frères qui succombent en 1670, à quelques mois d’intervalles.
La marquise ne compte pas s’arrêter là et envisage de faire passer sa sœur, son mari et même son amant de vie à trépas mais elle n’a pas l’occasion de mettre son projet à exécution.
Le mari qui trouve que l’on meurt un peu trop dans l’entourage de sa charmante épouse préfère vivre en reclus dans sa seigneurie.
Sainte-Croix n’a guère plus confiance en Marie-Madeleine et conserve des preuves de ses agissements, une sorte d’assurance-vie voire une arme de chantage contre sa maîtresse.
Les choses auraient pu en rester là si Sainte-Croix n’était pas mort subitement le 31 juillet 1672. Sa mort n’est pas suspecte mais une enquête est néanmoins ouverte sur demande des nombreux créanciers du chevalier qui espèrent récupérer une partie de leur dû.
Les policiers fouillent donc son domicile afin d’établir un inventaire de ses objets de valeur. Quelle n’est pas leur surprise en mettant la main sur une cassette à ouvrir en cas de décès antérieur à celui de son amante. Ils y découvrent des lettres compromettantes écrites de la main de la marquise ainsi que des fioles de son fameux poison.
On ordonne l’arrestation de Marie-Madeleine mais celle-ci n’a pas attendu sagement chez elle et est déjà en fuite.
Elle est finalement appréhendée en 1676, dans un couvent de Liège où elle se croit à l’abri. Cette arrestation est probablement facilitée par les aveux de l’ancien valet de Sainte-Croix et complice de la marquise, Jean Amelin dit La Chaussée.
Son procès s’ouvre sans plus attendre. Si la marquise n’avoue jamais publiquement ses fautes même sous la torture, elle laisse une confession écrite peu de temps avant sa mort. Elle y parle de son enfance, du viol qu’elle a subi vers l’âge de 6 ans, de l’inceste auquel la soumettent ses frères, du lent empoisonnement de son père qui met 8 mois à mourir. Vrais aveux ou inventions de sa part ? Probablement un peu des deux.
Bizarrement, cette femme qui n’avait pas froid aux yeux trouve l’apaisement et se tourne vers la religion avant de monter sur l’échafaud.
Condamnée à mort, elle est décapitée le 17 juillet 1676 en place de Grève, à Paris.
Les conséquences de la condamnation de la marquise de Brinvilliers
Le procès de Marie-Madeleine Dreux d’Aubray, marquise de Brinvilliers va avoir des répercussions inattendues.
Depuis 1667, Gabriel Nicolas de La Reynie occupe la fonction nouvellement créée de « lieutenant de police de Paris ». Cette nomination marque le début d’une nouvelle ère et donne beaucoup plus de pouvoirs à la police de Paris.
En effet, Louis XIV veut « nettoyer » la ville de ses brigands et mendiants qui font vivre la population dans une insécurité de plus en plus grande, et cela en toute impunité car personne n’ose s’attaquer à ces bandes organisées vivant dans les « Cours des Miracles ».
Gabriel Nicolas de La Reynie s’attaque au fond du problème et centralise dans un premier temps l’ensemble des différentes institutions comme le guet, les gardes ou les archers qui non seulement sont désorganisées mais rivalisent également entre elles.
Après avoir éliminé une partie de la racaille des rues de la capitale, le lieutenant de police fait installer l’éclairage public ce qui diminue le nombre de méfaits commis à la faveur de l’obscurité. Il s’attaque également d’autres problèmes, le manque de propreté dans les rues engendrant des épidémies et les fréquents incendies qui ravagent des quartiers entiers. C’est pour cette raison qu’il convainc le contrôleur général des finances, Jean-Baptiste Colbert d’autoriser le pavage des rues et l’adduction d’eau dans la ville de Paris.
Lorsque la marquise de Brinvilliers est arrêtée et exécutée en 1676, Gabriel Nicolas de la Reynie occupe donc son poste depuis une dizaine d’années et a l’entière confiance du roi. C’est donc à lui que le ministre de Louis XIV, François-Michel Le Tellier, marquis de Louvois, confie la tâche de faire le jour sur cette affaire de poisons. Il est encore loin de se douter que cette investigation va éclabousser des personnes haut placées, des proches du roi en personne.
Avec le zèle qui le caractérise, de la Reynie entame une enquête sur ce qui devient rapidement « L’Affaire des poisons ».
Des arrestations en série
Les langues se délient et ce que tout le monde savait sans vraiment oser en parler éclate au grand jour. Les empoisonnements sont monnaie courante à une époque où il est relativement facile de tuer sans être inquiété.
L’enquête prend une telle ampleur que Louis XIV ordonne la constitution d’une cour de justice baptisée la « Chambre ardente » ou « Cour des poisons ». Pendant trois ans, de 1679 à 1682, des centaines de femmes sont traînées devant ce tribunal extraordinaire. 36 d’entre elles sont condamnées à mort, une trentaine sont bannies du royaume et enfin 5 (ou 4 selon les sources) sont envoyées au bagne.
Des prêtres sont également impliqués, notamment Étienne Guibourg, accusé d’avoir participé à des rituels sataniques et d’avoir pratiqué des messes noires en échange d’une belle somme d’argent. Reconnu coupable, il décède en captivité en 1686.
La Voisin
L’une des plus célèbres empoisonneuses impliquées dans cette affaire est « la Voisin ». Elle est surtout redoutée par les Parisiens, toutes couches sociales confondues car elle connaît de nombreux et très embarrassants secrets et qu’elle est prête à les communiquer.Remontons quelques années en arrière lorsque l’épouse d’Antoine Montvoisin dite « la Voisin », née Catherine Deshayes, se retrouve veuve et doit trouver de quoi assurer sa survie et celle de sa fille.
Elle s’installe dans le Marais et se fait rapidement un nom à Paris. De nombreuses « clientes », fortunées ou non, la consultent, l’une pour se faire prédire l’avenir, une autre pour un avortement ou une messe noire au cours de laquelle des nouveaux-nés sont sacrifiés, une autre encore pour obtenir une fiole de poison qui la débarrassera d’un mari ou d’un père.
La Voisin amasse une véritable fortune et est bientôt à la tête d’une petite armée d’empoisonneurs. On parle d’un réseau d’une centaine de personnes et les clients proviennent désormais de la sphère proche du roi. De fil en aiguille, d’arrestation en arrestation les policiers remontent jusqu’à la Voisin.
Catherine Deshayes est appréhendée le 12 mars 1679 et condamnée pour sorcellerie, empoisonnement et plus de 2.500 avortements. Elle est brûlée vive en place de Grève, le 22 février 1680.
Or, avant de mourir, la Voisin parle, elle parle même beaucoup et accuse de nombreuses personnalités qui auraient eu recours à ses services.
Ce n’est pourtant pas elle qui incrimine Françoise de Rochechouart de Montemart mieux connue sous le nom de Madame de Montespan, favorite et mère de sept enfants de Louis XIV, enfants qui sont légitimés à partir de 1673.
En effet, délivrée par la mort de sa mère, la fille de la Voisin, Marie-Marguerite Montvoisin certifie que la dame de compagnie de Madame de Montespan, Claude de Vin des Œillets, a rendu plusieurs fois visite à sa mère pour le compte de la favorite.
Mademoiselle des Œillets qui, chuchote-t-on, a reçu à quelques reprises les faveurs du roi, n’est jamais inquiétée dans l’Affaire des poisons, ce qui permet de croire qu’elle a bel et bien profité d’une protection.
En revanche, les rumeurs concernant Madame de Montespan ont probablement accéléré sa disgrâce.
Sentant son amant se détacher d’elle, la favorite aurait tenté de le reconquérir en utilisant des philtres fournis par la Voisin et en lui faisant dire des messes noires. On l’aurait même accusée d’avoir voulu attenter à la vie du roi et à celle d’Angélique de Scorailles, future duchesse de Fontanges qui la supplante un temps dans le cœur du souverain.
En effet, en juin 1681, la duchesse de Fontanges dont le roi s’est rapidement lassé probablement en raison de son manque d’esprit et des traces laissées par une grossesse qui s’est prématurément terminée décède à l’abbaye de Port-Royal de Paris. Il n’en suffit pas plus pour que les détracteurs de Madame de Montespan la pointent du doigt et l’accusent d’avoir empoisonné sa rivale. N’oublions pas que nous sommes en plein dans l’Affaire des poisons qui devient un prétexte facile pour discréditer de nombreuses personnes. Chaque décès est dorénavant suspect !
Ces on-dit sont alimentées par la princesse Elisabeth-Charlotte de Bavière, épouse de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV.
Louis XIV si pressé d’éclaircir l’affaire des empoisonneuses est soudain pris dans la tourmente puisque sa favorite semble être impliquée. Il ordonne immédiatement la fin des interrogatoires. Son ancienne maîtresse est reléguée dans un appartement de second ordre. Elle reste cependant à Versailles jusqu’en 1691. Il semble maintenant prouvé que ces rumeurs, du moins celles concernant le décès de Mademoiselle de Fontanges, sont totalement infondées et que cette dernière est décédée des complications liées à l’accouchement.
Les suspects qui n’ont pas encore été jugés ou condamnés sont simplement mis aux fers et oubliés au fond des prisons où ils meurent rapidement en raison des conditions de détention. La Chambre ardente est dissoute en 1682.
En 1709, Louis XIV ordonne même la destruction des documents relatifs à l’affaire afin que celle-ci reste dans un « éternel oubli ». fort heureusement, des copies d’une partie des actes ont été conservés par le lieutenant-général de police et par la cour.
En passant par la rue Beauregard située dans le 2ème arrondissement de Paris, arrêtez-vous quelques instants devant la maison portant les numéros 23-25. c’est en ce lieu que la Voisin tenait, il y a bien longtemps, un étrange commerce. On y trouvait des potions et des ingrédients pour le moins inquiétants. C’est également là que de riches et célèbres femmes issues des plus grandes familles de France se rendaient en cachette pour acheter quelque poison ou pour tuer l’enfant qu’elles portaient en leur sein.
Passionnant , intéressant, instructif….comme dab.
MERCI AUGER
Merci pour ce retour ! Nous continuons de tester différentes thématiques vos commentaires permettent de mieux connaitre ce que vous aimez ou pas.
Merci pour votre résumé si bien documenté, l’affaire est terrifiante et …passionnante ! … pour les lecteurs friands d.empoisonneuses, de rivales de cour et de bûchers en cette époque tardive, il existe le beau livre de Max Gallo « La chambre ardente ».