La France est riche d’un fabuleux patrimoine naturel et historique. Chaque région possède ses monuments et ses paysages qui valent largement le détour.
Mais parfois, quelques coins insolites échappent à l’œil du touriste alors qu’ils méritent toute leur attention.
Aujourd’hui, nous vous invitons à découvrir un musée à nul autre pareil, la Fabuloserie fondée en 1983 par l’architecte Alain Bourbonnais, à Dicy, une petite commune de l’Yonne.
L’art brut de Jean Dubuffet
La plupart des œuvres d’art peuvent être cataloguées dans un courant artistique bien défini. On parle de romantisme, de néo-classicisme, de fauvisme, de cubisme, …
Et pourtant la production de certains artistes échappe totalement aux règles établies, aux normes structurant de tel ou tel mouvement.
La plupart de ces œuvres atypiques sont réalisées par des peintres ou sculpteurs n’ayant aucune culture artistique et vivant en dehors de la société, volontairement ou non. Il s’agit généralement de marginaux voire de malades mentaux qui parviennent à transmettre leurs émotions à travers des œuvres uniques et souvent extravagantes.
C’est le peintre Jean Dubuffet qui, le premier, réunit ces productions sous le nom d’ « art brut », en 1945. Une vingtaine d’années plus tôt, alors qu’il n’est âgé que de 21 ans, il s’intéressait déjà de très près aux œuvres des patients de l’hôpital psychiatrique de la Waldau (Berne) recueillies par le docteur Walter Morgenthaler.
A partir de cette époque, il collectionne ces œuvres singulières, parfois dérangeantes, visions des malades mentaux mais également d’ermites, de prisonniers ou simplement de révoltés. Tous ont la particularité d’être autodidactes et de sortir des cadres établis par la société.
Poursuivant ses recherches, Dubuffet contacte de nombreux psychiatres, visite des asiles et des maisons d’arrêt et s’intéressent aux œuvres d’artistes anonymes ou au contraire connus mais incompris du public comme l’écrivain Antonin Artaud ou la dessinatrice Marguerite Burnat-Provins.
Il définit ainsi l’art brut :
Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part de sorte que leurs auteurs tirent tout (…) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode.
Des productions de toute espèce (…) présentant un caractère spontané et fortement inventif, aussi peu que possible débitrices de l’art coutumier et des poncifs culturels, et ayant pour auteur des personnes obscures ou étrangères aux milieux artistiques professionnels.
Par la suite, d’autres mouvements ont été assimilés à l’art brut, notamment l’art populaire ou les arts forains et Dubuffet lui-même a élargi sa définition pour parler d’ « arts presque bruts ».
Alain Bourbonnais
Alain Bourbonnais est né le 22 juin 1925 dans l’Allier, à Ainay-le-Château. Même lorsque ses parents sont mutés à Tours, il revient chaque année en vacances dans la maison d’enfance.
Alain Bourbonnais obtient son diplôme d’architecte à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1954.
Dès la fin des années 1950, il remporte plusieurs concours nationaux et dessine notamment les plans du Grand Théâtre de Luxembourg (1960-1964) et du Théâtre de Caen (1955-1963) ce qui lui permet de faire la connaissance d’acteurs et de metteurs en scène qui lui commandent des décors.
Ses projets sont également choisis pour la construction de la première station du RER parisien à Nation (1969), de l’Église Stella Matutina de Saint-Cloud (1965) ou du Parc de détente et de loisirs de Tremblay à Champigny-sur-Marne (1975).
Il dresse également les plans du quartier résidentiel du Pont à Auxerre dans les années 1970.
Il s’agit d’un projet de grande envergure puisqu’il comprend 400 logements en habitat groupé ainsi que plusieurs édifices publics dont un parking souterrain et une bibliothèque municipale.
On ne peut pas à proprement parler d’un « style Bourbonnais » puisque cet architecte de génie conçoit chacune de ses œuvres en fonction du lieu et de la destination du bâtiment.
A la même époque, Alain Bourbonnais travaille comme professeur à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris entre 1963 et 1967 avant d’être nommé Architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux en 1968.
L’Art Hors-les-Normes
Si Alain Bourbonnais travaille et connaît le succès en qualité d’architecte, il s’adonne parallèlement à sa véritable passion, la création d’œuvres d’une grande originalité, évoquant la fête, le rêve, … le « fabuleux ». Il s’exprime par le dessin à la mine de plomb ou à ‘encre, la peinture, le collage ou encore la gravure et met ses « Turbulents », ses « Décalcomanies Turbulées » et ses « Briculages » en scène dans des courts-métrages.
Il utilise toutes sortes de matériaux dont le tissu et le papier mâché mais également des objets de récupération, boîtes de conserves, chaussures, perruques … pour habiller ses personnages, la Célestine, Tricyclo ou encore Mademoiselle Rose, qui composent ce qu’il nomme sa « Tribu ».
Alain Bourbonnais est non seulement un créateur unique en son genre mais également un amateur d’œuvres en marge de tous les standards. Il arpente les rues du Quartier Latin dès le début des années 1960 afin de dénicher des dessins, des peintures ou des objets usuels de l’art populaire exposés dans les vitrines des galeristes. Il jette ainsi les bases de sa future collection.
Une rencontre décisive
Nous sommes en 1971 lorsque Jean Dubuffet confirme le transfert de sa Collection de l’Art Brut en Suisse. Cette annonce bouleverse Alain Bourbonnais qui se met en contact avec le peintre. Très vite, il prend la décision de réunir lui-même une collection similaire afin de permettre aux Français de connaître ces œuvres marginales.
Jean Dubuffet l’encourage dans son entreprise et lui permet de rencontrer des artistes et d’autres collectionneurs afin de dénicher de nouvelles œuvres. Il faut cependant trouver un nouveau nom pour qualifier celles-ci puisque le terme « art brut » ne peut être utilisé que par son « inventeur », à savoir Jean Dubuffet.
Après plusieurs hésitations et propositions, Alain Bourbonnais opte pour le nom d’ « Art hors-les-normes ».
En 1972, il ouvre la galerie « Atelier Jacob » à Paris mais le succès n’est pas au rendez-vous et la galerie ferme ses portes dix ans plus tard.
Alain Bourbonnais poursuit cependant son objectif, faire connaître l’art hors-les-normes au grand public.
La Fabuloserie
C’est alors qu’Alain épaulé par sa femme Caroline décide de transformer sa maison de campagne située à Dicy, dans l’Yonne, en un musée dédié entièrement à l’art hors-les-normes, la « Fabuloserie ».
Plus qu’un simple musée, la Fabuloserie permet aux visiteurs de pénétrer dans un univers exceptionnel et de se retrouver au milieu de personnages émouvants, surprenants, dérangeants, grotesques ou truculents mais toujours insolites.
La Fabuloserie propose non seulement les propres créations d’Alain Bourbonnais mais également celles de plus d’une centaine d’artistes.
La maison-musée est bientôt trop petite pour accueillir des œuvres parfois surdimensionnées et c’est pour cette raison que le « Jardin habité » qui a déjà été inauguré en 1979 accueille de nouvelles sculptures.
On y côtoie de nombreux personnages, on y découvre des girouettes ou encore des médaillons qui semblent conviés à une immense fête orchestrée autour d’un point d’eau.
Pierre Avezard
Le « Manège du Petit Pierre » est particulièrement émouvant. Il nous plonge dans le monde imaginaire de l’enfance créé par Pierre Avezard, un artiste originaire du village de Fay-aux-Loges, dans le Loiret.
Né sourd-muet et quasi aveugle, Pierre Avezard passe une enfance solitaire. Considéré comme « innocent », il devient garçon-vacher dans les fermes de la région. Il est âgé de 28 ans lorsqu’il entame la fabrication de son manège à l’aide d’objets et de matériaux de récupération. Les différents éléments de cette œuvre s’inspirent de sa vie à la ferme et de ses voyages en compagnie de son frère, un ingénieur en aéronautique.
Loin d’être l’innocent du village, Pierre a une vive intelligence et c’est en autodidacte, en observant le fonctionnement des engins agricoles, qu’il parvient à créer le manège dont chaque scène est mobile.
Bientôt, les visiteurs se pressent à Coinche où s’est installé Pierre et viennent admirer l’œuvre qu’il met une quarantaine d’années à concevoir.
Lorsque Pierre devient trop vieux et malade, le manège cesse de fonctionner et s’abîme petit à petit. C’est alors qu’il est entièrement démonté et reconstruit à l’identique dans le jardin de la Fabuloserie. Cet immense jouet créé par un homme qui n’a pas pu partager les jeux de camarades qui préféraient se moquer de son infirmité émerveille aujourd’hui tous les visiteurs.
Alain Bourbonnais est décédé le 21 juin 1988 à l’âge de 62 ans. Son épouse Caroline a poursuivi son œuvre jusqu’en 2014, année de sa mort. La relève est assurée par les deux filles du couple, Sophie et Agnès.
La visite
La Fabuloserie ouvre ses portes au public d’avril à début novembre :
- les samedis, dimanches et jours fériés de 14à 19 hr en avril, mai, juin, septembre et octobre
- tous les jours de 11 à 19hr en juillet et août
La visite dure approximativement deux heures. Elle est en partie libre (dans la maison) et en partie guidée (dans le jardin).
Il est également possible de réserver des visites guidées pour les groupes de minimum 10 personnes.
Le musée est partiellement accessible aux personnes à mobilité réduite qui peuvent visiter l’entièreté du jardin et approximativement 70% de la maison.
Des expositions temporaires consacrées à l’art brut sont régulièrement proposées au public au sein de la propriété.
La Fabuloserie
1 rue des Canes
89120 Dicy
Tel : 03 86 63 64 21
Mail : fabuloserie89@gmail.com
Site web : http://www.fabuloserie.com
Découvrir la région
De passage dans la région, ne manquez pas de faire étape à Auxerre, chef-lieu de l’Yonne mais surtout une Ville d’Art et d’Histoire exceptionnelle située au cœur de la Bourgogne.
Habitée dès l’Antiquité, la ville d’Auxerre propose à ses visiteurs un riche patrimoine architectural :
- La Tour de l’Horloge construite au 15ème siècle indiquant les mouvements du soleil et de la lune.
- L’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, ancienne abbaye bénédictine fondée au 5ème siècle et abritant un musée consacré à l’histoire de la ville.
- La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre de style gothique édifiée au 13ème siècle.
- L’ancien palais épiscopal abritant actuellement les bureaux de la préfecture de l’Yonne.
Que manger dans la région ?
Ne partez pas de l’Auxerrois sans avoir goûté à quelques spécialités locales :
- L’andouillette de Chablis à la chair moelleuse et fort épicée se vend généralement au mètre. Elle se cuisine au vin blanc ou à la sauce moutardée.
- Les escargots de Bourgogne préparés dans un beurre persillé ou au chablis se dégustent notamment en tarte, en cassolettes ou en feuilleté.
- La flamusse, un gâteau aux pommes ou parfois aux poires ou aux prunes sautées et cuites dans une sorte de flan ou de clafoutis.
- Le jambon au chablis présenté sous la forme d’épaisses tranches de jambon cuit poêlées et servies avec une sauce aux échalotes et au vin blanc enrichie de crème et de coulis de tomates.