Les Cagots, Parias et Charpentiers
Dans le sud-ouest de la France et plus particulièrement au Pays basque et dans le Béarn, une catégorie de personnes a été victime de discriminations pendant plusieurs siècles. Disséminés dans toute la région mais également dans les Pyrénées espagnoles, les cagots ont vécu en marge de la société du 11ème au 18ème siècle.
Aujourd’hui, nous vous proposons de tenter de comprendre l’origine de cette ségrégation.
Un peu d’histoire
Nous sommes dans le Sud-Ouest de la France en plein Moyen-Âge lorsque l’appellation « cagot » est mentionné pour la première fois pour désigner une frange de la société, une « race maudite ».
A cette époque, alors que le reste de la France et même de l’Europe est organisé selon le système féodal, la région des Pyrénées vit dans un grand isolement. Les montagnards sont quasi autonomes et ne sont que très rarement soumis à des seigneurs issus de la noblesse ou au clergé.
Les grandes familles organisent eux-mêmes la défense des villages et s’occupent de la répartition du travail, du commerce et même de la justice. La contrebande représente une grande partie de l’économie de ces « républiques pyrénéennes », surnom donné à ces communautés montagnardes qui refusent même de payer des impôts au roi.
C’est donc dans une région vivant de manière marginale qu’apparaissent les cagots qui ne se distinguent pas, à première vue, du reste de la population.
Alors pourquoi ces familles vont-elles être soudain l’objet de toutes les brimades et vivre en marge de la société ? Cela reste encore aujourd’hui un mystère même si différentes théories ont été avancées.
Les cagots considérés de la même manière que les lépreux sont obligés de vivre à l’écart des villageois, dans des sortes de ghettos, et de porter un signe distinctif sur leurs vêtements, généralement une patte d’oie rouge, des brimades semblables à celles dont les Juifs seront victimes, bien plus tard. Or, il s’avère que ces familles de parias ne semblent pas porteurs de maladie et ne se distinguent de leurs concitoyens ni par leur physique ni par leur religion.
Ils n’appartiennent pas non plus à une région bien définie et la plupart des villes et des villages ont leurs « cagots ». De plus, on retrouve leur équivalent bien qu’en plus petit nombre en Bretagne où ils sont appelés « cacous » ainsi qu’en Gascogne et dans le Languedoc où ils portent le nom de « capots ».
Dans certains villages, les cagots sont également appelés « chrestians » ou « gézitains ». Si le nom change, l’isolement dans lequel vivent ces familles reste le même.
Les théories concernant leur origine
Les Goths
Lorsque l’empire romain s’effrite au 4ème siècle de notre ère, les peuples germaniques en profitent pour organiser des raids et ensuite pour annexer de nouveaux territoires. C’est ainsi que les Wisigoths s’implantent dans le sud de la France et dans la péninsule ibérique. Ils choisissent Toulouse comme capitale de leur royaume.
Au 6ème siècle, les Francs saliens menés par Clovis franchissent la Loire et s’attaquent aux Wisigoths qui doivent abandonner une grande partie de leur territoire et se retrancher en Septimanie qui correspond à l’actuel Languedoc.
Les cagots dont le nom n’est pas sans rappeler celui des Goths seraient-ils dès lors leurs lointains descendants ?
Cette théorie semble peu crédible car il est difficile d’imaginer qu’ils aient souffert de discrimination plusieurs siècles plus tard.
Les Sarrasins
Au 8ème siècle de notre ère, les califes appartenant à la dynastie des Omeyyades partent à la conquête de la péninsule ibérique et traversent les Pyrénées pour attaquer le royaume wisigoth. Ces musulmans désignés sous le nom de « Sarrasins » s’emparent de nombreuses villes avant d’être arrêtés par les Francs menés par Charles Martel en 732.
S’il est vrai que les Sarrasins ont un temps occupé les terres du sud-ouest de la France, l’hypothèse d’une lointaine ascendance musulmane des cagots semble tout aussi invraisemblable que celle d’une ascendance wisigothe.
Les Cathares
Vers le 10ème siècle, une religion issue du christianisme mais prônant la coexistence du bien et du mal fait son apparition dans le sud de la France. Le catharismequi est dans un premier temps toléré par l’Église catholique fait de plus en plus d’adeptes . Le clergé inquiet de cet engouement qui touche non seulement les plus défavorisés mais également la noblesse condamne le mouvement, en 1119, sans pour autant parvenir à le dissoudre.
C’est pour cette raison que le pape lance la « Croisade des Albigeois » en 1209. La région de l’actuelle Occitanie est mise à feu et à sang. De nombreux seigneurs favorables au catharisme sont excommuniés et dépossédés de leurs terres tandis que des tribunaux de l’Inquisition sont chargés de faire la chasse aux hérétiques. Cet épisode dramatique se solde par l’intervention du roi de France Louis IX et la chute des derniers bastions cathares en 1255.
L’hypothèse selon laquelle les cagots seraient les descendants des cathares repose sur le fait qu’ils sont parfois appelés chrestians (ou crestias) ce qui n’est pas sans rappeler le nom de « bons chrétiens » par lequel se désignaient les guides religieux du mouvement.
Cependant, c’est le seul point en faveur de cette thèse qui ne tient pas réellement la route puisque le terme cagot est mentionné avant à l’arrivée des cathares dans la région et est par conséquence bien antérieur à la croisade des Albigeois.
Les lépreux
Selon la thèse la plus souvent avancée et acceptée, les cagots seraient, à l’origine, des malades de la lèpre tenus à l’écart par peur de la contagion.
De nombreux arguments confortent cette idée puisque lépreux et cagots doivent respecter les mêmes interdits et les mêmes obligations. Leurs descendants même sains sont susceptibles de porter en eux la maladie et sont donc également obligés de vivre à l’écart de la population même après la disparition de la lèpre en France à la fin du 14ème siècle.
Si cette supposition reste la plus plausible, elle n’a jamais été formellement certifiée et le mystère plane encore… on parle même d’extraterrestres !.
Certains historiens suggèrent que les cagots n’étaient pas réellement lépreux mais qu’ils étaient assimilés aux personnes malades suite un acte répréhensible ou en raison d’une tare ou d’une appartenance ethnique ou religieuses (tziganes, juifs, ….). Cela expliquerait certaines descriptions qui parlent de personnes d’une grande beauté, blonds aux yeux bleus sans aucune trace de maladie tandis que d’autres affirment que les cagots sont laids et sales, portent les stigmates de la lèpre, ont une sexualité débridée et sont plus petits que la moyenne.
Interdictions et obligations
Les cagots sont regroupés dans des quartiers à l’écart des villages et doivent obéir à de nombreuses injonctions :
- Ils doivent porter un signe distinctif cousu sur leurs vêtements, une patte de canard ou d’oie voire une cocarde rouge. Il est possible que ce symbole trouve son origine dans la feuille de figuier, arbre maudit selon les Évangiles de Saint-Marc et de Saint-Mathieu, appelé en gascon « pied d’oison ».
- Ils ne peuvent boire de l’eau que de leur propre fontaine
- Ils ne peuvent pas marcher pieds nus
- Lorsqu’ils n’ont pas leur propre église dans leur quartier, ils peuvent assister à la messe dans le village en entrant par une porte secondaire ou en restant à l’extérieur de l’édifice. Ils écoutent alors l’office depuis une petite ouverture appelée « fenêtre des cagots ». Ils doivent également utiliser uniquement leur propre bénitier.
- Ils ne peuvent pas se marier en dehors de leur caste et doivent aller chercher un conjoint dans d’autres villages afin d’éviter la consanguinité.
- Ils ne peuvent pas exercer certains métiers, notamment celui de fermier ou de commerçant ni prendre part aux guerres.
- Ils ne peuvent pas être propriétaires de terres ou même d’animaux
- Ils ne peuvent pas être enterrés dans le même cimetière que le reste de la population
- …
Ces dispositions semblent bien confirmer la peur des villageois face à une maladie contagieuse. Les descendants des cagots sont soumis aux mêmes obligations et leur « statut » est même mentionné sur les actes de naissance.
La plupart des cagots travaillent le bois et le fer, des matières qui sont supposées ne pas transmettre les maladies.
Ils excellent dans ces arts au point qu’on leur confie la construction de nombreuses charpentes et ferrures de bâtiments religieux et civils dont Notre-Dame de Paris et le château de Pau. Outre le métier de charpentier, les cagots exercent également les professions de menuisiers, de cordiers, de tonneliers ou de forgerons. Parfois, ils sont également recrutés comme bourreaux ou fossoyeurs.
Considérés comme une « race maudite », les cagots servent souvent de bouc-émissaires aux villageois qui les accusent d’être à l’origine des fléaux qui les frappent. A la fois méprisés et craints, on les dit pourtant guérisseurs et on fait régulièrement appel à eurs femmes lors des accouchements.
La fin de la discrimination
Au fil des siècles, les cagots qui représentent quand même près de 10% de la population ont plusieurs fois tenté de sortir de leur condition de parias mais il faut attendre 1611 pour qu’une expertise médicale menée dans le Béarn conclut à l’absence de toute maladie dans leurs familles.
Petit à petit, ils s’intègrent au reste de la population et les interdits disparaissent. La dernière mention de cagot sur un acte de baptême est portée en 1675. Le terme est cependant remplacé par charpentier jusqu’en 1764. Les cimetières réservés à cette classe sociale accueillent leurs derniers défunts à la fin du 17ème siècle.
Enfin, en 1723, le Parlement de Bordeaux promulgue un arrêt interdisant toute discrimination et toute injure vis-à-vis de ces familles.
En Espagne, la fin de l’ostracisme vis-à-vis des cagots est un peu plus tardive puisque la loi l’abolissant ne date que de 1819.
De nos jours, il n’est pas rare d’entendre encore quelqu’un se faire traiter de cagot dans le sud-ouest de la France probablement par des personnes ignorant l’origine de cette insulte.
La visite
Château des Nestes
La mémoire des cagots méritait bien un musée et c’est à Arreau, dans les Hautes-Pyrénées que celui-ci a ouvert ses portes. Il a été inauguré en 1989 au château des Nestes, une ancienne commanderie, sur l’initiative de Raymond Fourasté.
On y découvre le quotidien de ces hommes qui sont nés, ont vécu et sont morts en parias, de génération en génération pendant près de huit siècles en France.
Musée des Cagots
1 Rue Saint-Eupère
65240 Arreau
Tel : 05 62 98 63 15
Site web : https://www.tourisme-occitanie.com/musee-des-cagots/arreau
Château de Montaner
Le château de Montaner, ancienne demeure de Gaston III de Foix Béarn mieux connu sous le nom de Fébus (ou Phébus) domine le petit village béarnais.
Il a été construit dans la seconde moitié du 14ème siècle et a servi de résidence à l’un des plus importants seigneurs des Pyrénées. Habile stratège et diplomate, Fébus a réussi à préserver son domaine des vicissitudes de la Guerre de Cent Ans notamment en construisant de puissantes forteresses le long de ses frontières.
Il se raconte que la charpente de ce château a été construite gratuitement par les cagots qui reçurent en échange l’autorisation de prélever du bois dans les forêts du domaine et l’exonération des impôts locaux.
En pratique :
Le château se visite librement (uniquement le rez-de-chaussée) ou avec un guide (rez-de-chaussée et donjon) d’avril à la Toussaint :
- tous les jours sauf le mardi de 14 à 18 hr en avril, mai, juin, septembre et octobre
- tous les jours de 10 à 12hr30 et de 13hr30 à 19hr en juillet et août
Durant la visite, deux films sont projetés : Le secret des Cagotset Le rêve de Phébus
En été, des animations sur le thème du Moyen-âge sont organisées
Château de Montaner
64460 Montaner
Tel : 05 59 81 98 29
Mail : chateaudemontaner@orange.fr
Site web : https://www.chateau-montaner.com
Que manger dans la région ?
Le Béarn est une région où la gastronomie est élevée au rang d’art. On peut y savourer notamment :
- La garbure, une soupe au confit de canard ou d’oie proche de la potée. Mijotée pendant de nombreuses heures, elle existe en plusieurs variantes … selon les légumes de saison.
- L’andouille béarnaise longue de minimum trente centimètres et séchée pendant plusieurs mois voire un an avant d’être dessalée et pochée.
- La poule-au-pot farcie et cuite dans un bouillon aux nombreux légumes. Elle a été rendue célèbre par Henri IV qui, dit-on, voulait que chaque fermier mette une poule au pot le dimanche.
- La meture, un pain à pâte non levée préparé à la farine de maïs.